« Et puis on se dit qu’on laisse des traces, elles ne sont pas parfaites mais elles sont nous » écrit Arielle Piednoël dans un mail en 2013. 

Une trace. La définition est la suivante : « Empreinte ou suite d’empreintes, de marques, que laisse le passage d’un être ou d’un objet ». Dans cette nomenclature il y a deux éléments clefs : le passé et l’empreinte. C’est un vestige qui prend notre forme. C’est un souvenir d’enfance raviver par une odeur, une série de note de musique qu’on entend vaguement ou une texture particulière qu’on touche du bout des doigts. Dans ces moments là le temps se dilate et se superpose. Il se fige comme lorsque l’on prend une photographie. La trace laissée est soudainement tangible.

Partout où il n’y a rien revient sur les traces d’Arielle Piednoël, photographe inconnue des années 80. Il s’avère aussi qu’Arielle n’est autre que ma mère. Cette exposition raconte alors tous types de traces : celles qu’on laisse dans un lieu, celles qu’on capture sur un négatif mais celles aussi qu’on lègue à ses ascendants. Ce travail est lui aussi une trace ultime de ma filiation. À l’instar de mon mémoire, je dédie évidemment du fond de mon cœur cette exposition à ma mère.

Les villas inachevées / Usine déserte,1980

Tirage argentique sur papier baryté 30x40cm

Extraite de la pellicule n°30, cette série sobrement nommée « Les villas inachevées / Usine déserte » a été photographiée en juin 1980 à Marseille. Est-ce le lieu – ma cité phocéenne natale -, le mois – celui de mon anniversaire – ou encore la présence de la méditerranée – sujet constant de ma pratique photographique – qui m’ont fait choisir ces images ? Il existe cet espace liminal entre mon regard et celui de ma mère, séparé par l’espace et le temps, qui ne s’explique pas. Peut-être existe-t-il une parenté de la sensibilité, comme un écho générationnel, qui se transmet sans qu’on s’en aperçoive. Ou peut-être que j’ai choisi ces photographies car j’aurais aimé les faire puisqu’elles résonnent invariablement avec ma façon de percevoir ou d’explorer des sentiers perdus par jour de beau temps. Telle mère, telle fille, de la manière la plus littérale qu’il soit.

La boîte en carton au fond de la cave, auto-édition, 2023

Imprimée par Magenta, 21×14,8cm, 56 p.

La cave, ce lieu d’imaginaire et de fatras constant où l’on stocke les rebuts de la maison. C’est de cet endroit sordide que ma mère a extirpé son fond, composé de 100 pellicules, rangé dans une boîte en carton, pour le mettre dans mes mains. Ou plutôt que j’ai pris de ses mains à elle, pour les placer dans les vôtres aujourd’hui. Tout n’est qu’une question de transmission en cascade, glissement de regard en regard, il suffit juste de faire le geste – chercher la boîte, soulever le couvercle et se saisir de ces images. C’est pour cette raison que j’ai choisi de présenter des photographies, et non pas des séries, pour vous brosser un portrait en creux de la photographe et de sa pratique entre 1979 et 1982.

« I’m the new Vivian Maier… but alive ! », 7’56 », 2023

Fichier audio dans un téléphone des années 1980, merci à Lucas Garlaschi

Il vous suffit de décrocher le combiné pour avoir le fin mot de l’histoire. La dernière trace, l’écho final de nos voix. La longueur de la discussion est établie précisément pour vous permettre de ne saisir que des bribes, des fragments, des instants, exactement comme si l’on regardait une photographie. Puisque ce sont dans ces ultimes silences entre deux phrases où l’on retrouve invariablement l’impulsion de cette exposition et qui se retrouve dans cette citation de Diderot : partout où il n’y a rien, lisez que je vous aime.